Feeling Like a Monster. x Akira

Ce jour là, il s'en souviendrait toute sa vie. Ce jour qu'il a tant détester, ce jour qui l'avait transformé. Il se souvenait du visage de toutes les personnes présentes, et toutes étaient mortes. Toutes sauf lui. Il se rappelle de ses larmes, il se rappelle encore de son visage déformé par la douleur. Il se rappelle ce qu'il avait ressenti en serrant son corps sans vie contre le sien, en voyant son dernier souffle le quitter. Il se souvenait même de l'odeur de sa chaire grillée, il se souvenait aussi du sourire qu'il esquissait derrière le scotch qui lui entravait les lèvres, cette étincelle de désespoir dans ses yeux d'océan, la tristesse de partir sans avoir pu lui dire.

Un cris silencieux, un bruit mat. Un corbeau, au loin, croassait. Le jeune homme regardait son poing serré qui s'était abattu sur la pierre froide quelques secondes plus tôt. Les jointures de ses doigts étaient blanches. Il sourit à travers son masque. La même couleur que le corps de Mike. Le jeune homme resta dans cette position, poing serré contre la pierre tombale, pendant quelques secondes encore. Finalement il se redressa, ses doigts parcourant le marbre comme pour y laisser une infime trace de passage, une caresse volatile. Son regard sanguin se leva vers la lune. Belle lune pleine ce soir là. Le corbeau croassa de nouveau et un bruit infime de battement d'ailes brisa le silence nocturne. Matt laissa son regard dériver sur la forme sombre et bleuté de l'animal qui planait dans le ciel étoilé. L'oiseau se posa avec grâce sur la pierre tombale qu'avait frapper Matt quelques instants plus tôt, fixant l'humain de son oeil sombre et profond. Le bec de l'animal s'ouvrir en grand et la langue, noire et légèrement rosée sorti de son antre chaud. Les cordes vocales du volatile se mirent a vibrer et, comme une cloche funèbre, le croassement grave de l'animal résonna dans le silence. Matt ne pouvait s'arracher à la contemplation du corbeau. Ce plumage si lisse et si sombre, ces yeux perçants qui semblaient ides et animés en même temps, tout l'être vivant en face de lui le fascinait, l'intriguait. Le jeune homme esquissa un pas vers la corneille et l'animal déploya grand ses ailes, se donnant soudain un aspect imposant. La tête se renversa en arrière, bec pointé vers la voûte céleste et il hurla pour le firmament. Un sourire étira les fines lèvres de Matt, le corbeau reprenant sa position initiale, perché sur la tombe, ailes repliées sur son corps d'encre bleutée. Un second cris animal se fit entendre dans la nuit. Une chouette ou un hibou venait de répondre a l'appel indirect du corbeau. Le froissement des plumes ne tarda pas à se faire entendre et les deux yeux du grand duc ne tardèrent pas à apparaître dans l'ombre d'une tombe. Le jeune homme laissa son sourire s'agrandir sous son masque. Les deux oiseaux nocturnes le fixaient de leurs yeux tantôt sombres, tantôt clairs.
Un énième cri, un miaulement aiguë, perça le silence installé. Le chat, un chat fin et au pelage noir comme le charbon apparut sur l'allée de graviers blancs. Son regard turquoise scrutait les alentours de ce regard hautain et supérieur que se donnaient les félins. Matt contemplait cet animal. Non pas pour sa beauté qui n'était pas moindre, mais pour les yeux bleus qu'il arborait. Des yeux qui, lorsqu'un nuage cachait la lune pour quelques secondes, devenait d'un bleu océan. Matt posa son genoux droit à terre et tendit la main vers le félin. Le chat approcha de sa démarche souveraine et, derrière le jeune homme, les deux oiseaux s'envolèrent. L'animal vint se lover contre la main du garçon et ce dernier, attendrit, le prit dans ses bras. Le garçon aux yeux sanguins se redressa et, portant le chat contre sa poitrine, il partit s'asseoir sur une tombe. Le félin noir se coucha sur les genoux du jeune homme et les deux regardèrent la lune en silence, le seul mouvement de ces deux êtres étant leur respiration.

Le jeune homme se souvenait de tout ce qui concernait Mike, son Mike, le Mike qui avait fait battre, vibrer son coeur, son corps et son âme pendant tant d'années. Pourquoi l'avait-il abandonné ? Quelles étaient les raisons de cet abandon ? Le blond manquait atrocement a Matt, malgré sa vengeance, malgré le sang de ses ennemis qui avaient maculer ses mains, malgré leurs organes qu'il avait découpés, malgré toutes ces années. Et sa mémoire lui fit revoir les scènes les plus horribles, ces larmes qui s'écoulaient des yeux d'océan, ce dernier souffle qu'il poussait et surtout, ce corps froid qu'il avait dans les bras. Et cette haine et ce désespoir qui lui vrillaient les tripes, et ce profond chagrin, ces mots qu'il n'avait jamais prononcés, ces mots qu'il ne prononcera sans doute jamais.

C'était le coeur en vrac que Matt caressait ce chat. Chat qui, soit dit en passant, faisait ses griffes sur le bras du jeune homme qui ne réagissait pas le moindre du monde. Le félin s'étira longuement et planta son regard de saphir dans celui de rubis du jeune garçon. Seulement envieux de faire valser l'animal et ses airs hautains, Matt contrôla ses pulsions au dernier moment, son regard se posant sur mère lune entourée de ses filles, les étoiles. Le chat se réinstalla sur les genoux du garçon et le tableau redevint calme, immobile comme avant, si ce n'était le sang qui coulait du bras de Matt, goutte écarlate sur la peau pâle. Un petit vent frais se leva et les arbres balancèrent leurs branches doucement à travers la nuit, le frottement des feuilles donnant un son d'ambiance. Silencieusement, le regard de Matt se posa sur les arbres, puis il glissa sur les lueurs de la ville au loin. Il aurait vraiment voulu emmener Mike ici, juste pour lui montrer qu'ils n'étaient pas les seuls dans leur cas, que beaucoup étaient pareils... Mais Mike n'était plus, il devait se faire a cette idée, aussi immonde soit-elle.
Un crissement infime parvint aux oreilles du jeune homme. Quelqu'un était là. Il perçut bientôt le bruit de sa respiration puis il tourna doucement la tête pour regarder le jeune homme qui se tenait debout devant la tombe sur laquelle Matt était assit. Le jeune inconnu semblait triste, très triste, comme Matt l'était sauf que lui, il le montrait. Le chat s'étira, fit de nouveau ses griffes sur le bras de Matt et descendit d'un bon gracieux. Le jeune homme regardait son sang couler et repensa aux yeux du chat, yeux qui lui rappelaient Mike une fois de plus. Il regardait l'inconnu de son seul oeil visible à travers le masque à gaz qui lui cachait le visage.

Cet homme à la chevelure de feu, étendu devant toi, cet homme que tu haïssais tant, cet homme que tu désirais tuer à tout prix. Cet homme tu le voyais devant tes pieds, agonisant, te suppliant de le tuer, ou de le sauver. Mais il savait, il savait que tu ne ferais ni l'un ni l'autre, il savait qu'à cause de lui, tu étais devenu un monstre. Un monstre sans coeur qui s'amuse de la souffrance d'autrui, un monstre sans coeur qui, malgré la vengeance, recherche toujours le sang, encore et toujours le sang. Tu l'avais torturé, il avait vraiment mal, une douleur si insupportable que pour lui, la seule délivrance serait la mort. Ses yeux exorbités te fixaient, ces deux iris ocres te suppliaient, remplies d'une souffrance terrible et de cette lueur que tu aimais tant. La lueur de l'agonie, celle qui te dit " Je suis prêt à mourir, achèves moi." Et toi, tu le regardait, saignant à flots, recroquevillé sur lui-même afin de contenir la douleur comme il pouvait.

Matt sursauta soudainement. Pourquoi ces images ne cessaient de lui revenir en mémoire ? Pourquoi se sentait-il obligé de se remémorer tous ces instants, heureux, malheureux, douloureux ou pas ? Pourquoi se faisait-il souffrir mentalement, et surtout si abominablement ? Son oeil caché par son masque noir laissa une larme s'échapper. La goutte d'eau salée fit son bonhomme de chemin, traçant la pommette, puis la joue pour mourir sur les deux lèvres serrées du jeune homme. Une seconde emprunta le même chemin, puis une troisième. Finalement le jeune homme serra les poings, ceux-ci posés sur le marbre froid de la tombe. Doucement, son regard à l'unique oeil visible se posa sur l'inconnu face à lui. Le masque qui cachait son visage gênait pas mal Matt. Il aimait cacher son visage, mais ne pas voir celui des autres l'insupportait. Ainsi il descendit de la tombe, ignorant les paroles de l'autre. Croyait-il que celui dont la chevelure était telle la nuit qui régnait allait lui répondre alors qu'il n'avait pas donné son nom ? Un sourire énigmatique étira les lèvres de Matt,bien qu'il fusse caché par le masque à gaz. Il regarda l'autre qui s'était agenouiller pour caresser en tremblant le nom qui était gravé sur la pierre. Matt, soudain prit de compassion pour cet homme qui semblait avoir perdu au moins tout autant que lui, s'accroupit près de lui, entourant ses genoux de ses bras.
Qu'il lui réponde ou pas lui importait peu, en fait. Ce qu'il savait, c'est que cette personne avait dut compter pour lui, de son vivant. Et d'un certain sens, cela lui suffisait. Il n'aurait pas répondu si on lui avait poser la même question en parlant de la tombe de Mike. Oh non, il serait parti bien plus vite avec sa tristesse. Le blond lui manquait atrocement, il devait l'avouer. Malgré que les deux hommes soient de parfaits inconnus, Matt se sentait proche de lui de par leur unique point commun qu'il connaissait pour le moment.

Tu te revois, là, dans cette salle sombre et ignoble. La seule fenêtre diffusait une lumière sale, crasseuse et faible, une lumière morbide, tu pouvais presque entendre les rayons du soleil gémir de devoir passer dans cette salle pour y éclairer un spectacle douloureux. Toute la salle étaient remplie d'un silence nerveux, un silence pesant, un silence horrible pour ton esprit et ton coeur. Tu voulais entendre le son de sa voix, le battement de son coeur, même sa respiration si calme et si douce te manquait. Ses rires, ses pleurs, tout en lui était parti avec son dernier souffle. Tout en lui était devenu froid, maintenant. Et sans cesse tu te revois, agenouiller sur le carrelage froid, poussiéreux, dont le blanc devait être beau autrefois. Tu te revois en train de serrer contre toi, ce corps froid, ce corps qui demandait à être réchauffé de vie, tu le serrait avec désespoir contre toi, tu voulais le réchauffer, relancer le coeur à l'intérieur. Mais la morsure froide de sa peau devenue glacée sans l’afflux de sang te ramenait à la réalité. Il était mort... Mike était mort.

Ce fut avec surprise que Matt revint sur Terre. Il rêvassait trop à ces moments douloureux, ces moments qu'il faisait repasser dans son esprit, pour être certain de ne jamais oublier, de ne jamais aimer quelqu'un d'autre. Son coeur, oui, était tout entier au défunt Mike. Il s'était depuis longtemps enfermé dans une tour de cristal noircit par la tristesse et le désespoir. Ses yeux se posèrent sur l'inconnu. Enfin, sur l'assassin d'inconnu. Il l'avait dit lui même. Le jeune homme regardait la tombe, et des larmes semblaient couleur sur son visage. Matt laissa traîner son regard sanguin sur le visage de l'autre quelques instants encore avant de le laisser glisser jusqu'à la pierre froide, sombre, triste et morne. Tout ce qu'il était, lui. Son sourire revint, un sourire triste et douloureux, le même sourire qu'il arborait en serrant le cadavre de celui qui, dans les dernières minutes de sa vie, lui avait voler son coeur. Celui à la chevelure de corbeau posa ses doigts fins sur la pierre gelée, juste à l'endroit où tombait les gouttes salées, seules preuves de la tristesse du jeune inconnu. Matt n'aimait pas que l'autre souffre, et il ne savait pas pourquoi. Surement qu'ils avaient dut vivre la même chose. Du moins, en partie. Sa main libre alla se poser sur son cou. Sous les bandages, la marque, la cicatrice qui lui faisait si mal quand il sanglotait. Ainsi il avait apprit à pleurer en silence, comme le faisait l'autre garçon. Il retira ses doigts de son cou et se releva, ébouriffant vivement et légèrement les cheveux verts de l'inconnu. Un sourire invisible de compréhension étirait ses lèvres.
Où étaient passés sa froideur et la distance qu'il mettait entre lui et les autres ? Il n'en savait rien, mais une âme en peine qui devait avoir souffert tout autant que lui était là, près de lui, à laisser la tristesse l'envahir. Et, aussi pervers et sadique qu'il soit, il s'était retrouvé dans l'autre garçon, et il voulait au moins pouvoir diminuer sa peine.

Lors du long monologue de l'autre homme masqué, Matt s'était relevé et avait regardé le ciel nocturne. Il avait eut le temps de dénombrer vingt-deux étoiles scintillantes autour de la belle lune. Celle-ci d'ailleurs possédait environs dix-sept tâches plus ou moins foncées sur sa surface. Il avait compté huit brises qui avaient ébouriffé ses cheveux de jais et ceux de l'autre jeune homme. Je pense que vous l'aviez comprit, il n'était pas attentif, pas le moindre du monde, à ce que disait l'autre. Il avait voulu être gentil, il se prenait une tirade plus ou moins agressive dans la gueule, ça lui apprendra. Un sourire ironique s'esquissa sur ses lèvres avant de grandir de plus en plus. Ses pensées voguèrent à Mike. Le blond lui manquait, certes. Surement tout autant que le mort manquait à l'autre homme. Mais Matt avait venger le blond alors que d'après ce qu'il avait comprit, l'autre était meurtrier de celui qu'il aimait. Celui à la chevelure de jais haussa les épaules en soupirant. Il n'aimait pas penser aux autres, et encore moins à lui même. Ce qu'il voulait encore moins, c'était songer à Mike. Les morts ne reviendront jamais, lui avait dit le vieux bûcheron. Que ça lui reste dans le crâne. Il fallait qu'il tourne la page. Le jeune homme se redressa et s'étira longuement, ignorant magnifiquement l'autre. Son regard se posa sur un nuage qui obstruait la lune. Belle lune qui jetait sans ménagement son obscure clarté sur l'écharpe de brume qui se formait, essayant tel le tissu de réchauffer la gorge feuillue des arbres. Matt ferma les yeux et leva sa main droite vers la première attache de son masque à gaz. Ses doigts fins se posèrent dessus et, d'un geste habile, il la défit en quelques millièmes de secondes. Une seconde et une troisième attache subirent le même sort et le masque à gaz tomba, se pendant autour du cou du garçon. Son visage à la peau pâle fut découvert et les rayons argentés de l'astre nocturne caressèrent un instant ses traits avant de disparaître derrière un nuage. Matt n'en avait plus rien à faire, de l'autre maintenant. Tout ce qui comptait, c'était de savourer cette nuit. La présence de l'autre semblait pourtant conforter Matt dans sa solitude. Les deux se voyaient, se parlaient, mais au fur et à mesure de la rencontre, les deux paraissaient de plus en plus seuls, de plus en plus meurtris. Peut être que jamais ils ne s'entendraient. En fait, Matt ne comprenait pas pourquoi l'autre refusait de passer à coté, pourquoi il continuait de se faire souffrir. Certes il avait été pareil, mais maintenant ça le dépassait.