Elie F. Ash [U-C]

Avant, tu étais toi. Maintenant, je ne te reconnais plus. Toi, si tendre et généreuse. Une sainte enfant, comme disaient les vieilles de ton village. Tu les aimais et elles t'aimaient en retour. Tu riais de bon cœur, comme si la tristesse ne pouvait t'effleurer. Un simple geste et tu animais dans les regards des plus malheureux une flamme. Une flamme que tu nommais toi même "espoir". Tu aimais le sport et tu étais imbattable. Surtout lorsqu'il s'agissait d'un sport de vitesse et d'équilibre. Tu pratiquais la gym et l'athlétisme. Tu t'assouplissais et devenais chaque jour un peu plus forte, un peu plus musclée. Tu n'aimais pas transpirer. Pourquoi ? Nul ne le sait. Mais chacun à en soi une faille, aussi petite soit elle. Avant, tu étais bonne élève. Des 18, des 20, tout cela t'étais familier. Mais tu n'aimais pas l'école. Tu y apprenais parce que tu savais à quel point ton avenir était en jeu. Alors tu travaillais dur. Tu voulais toucher la perfection. La perfection, tu l'as touché. Mais, à force de t'étirer pour avoir raison d'elle, tu t'es cassé la gueule. Et tu es retombée bien bas. Tu es retombée là où tu n'étais jamais allée. Un truc tout simple, t'étais en enfer... Et même la plus parfaite des jeunes filles ne peut s'en sortir sans en être changée à jamais.


Et maintenant, regarde toi. Tu es froide. Depuis ta tentative de suicide, tu es muette. Peut-être as tu trop crié ? Mais peut-être est-ce ce que tu voulais ? Pour une fois, tu avais sans doute fait le bon choix. Mais bon, le destin peut parfois être cruel. Entendre le son de ta voix, juste une fois. Pour toi, c'est impossible. Tu restes renfermée sur toi même, tu méprises les autres. Tu les méprises parce qu'ils sont heureux et pas toi. Tu les méprises parce qu'ils te font mal. T'es une fan des stéréotypes, tu juges trop vite les gens. Quelle belle ironie du sort pour une bissexuelle ! Tu n’acceptes même pas les "tiens". Peut-être parce que tu te hais ? Peut-être parce que tu les penses responsables de ce qui t’arrive ? Tu es ce qu'il ne faut pas être. Non pas pour tes préférences sexuelles mais bel et bien pour ce que tu es devenu. Un sourire, même petit. Lire la joie sur ton visage. Pourquoi est-ce impossible ? Si la vie est un jeu, tu es loin derrière. Tu ne sais pas ce qu'est la vie. Tu es déjà morte. Tu es morte ce jour décisif qu'est le 22 Octobre 2008. Le lendemain, tu n'as pas fêté ton anniversaire. Et, depuis, tu ne le fêtes plus. Tu ne sais plus qui tu es et qui tu étais. Tu es physiquement encore vivante. Mais c'est pour mieux te faire souffrir. Tu aimes mourir.

Une telle beauté de la nature ne peut avoir été créé. Tes formes généreuses, Ta taille de guêpe. Tu as tout pour plaire et c'est bien cela qui te dérange. Victime de violes réptés, tu tes musclée pour pouvoir te défendre. Tu es si jolie quand tu mets cette robe bleue qui fait ressortir tes yeux! Mais tu la jetée. Ou alors, tu l'as oubliée. Au choix, de toute manière, c'est comme si elle n'existait plus. Ta démarche est souple et gracieuse. Tes longs cheveux bleus ajoutent à cette démarche quelque chose de... félin. Tu ne prends plus soin de toi et la crasse a commencé à recouvrir d'une fine couche. Ton teint en est bruni et ta peau d'habitude si blanche a pris des allures sales. Tes cheveux deviennent bleu nuit lorsqu'ils sont mouillés. Elle les attache parfois en une longue queue de cheval. Parlons un peu de tes yeux. Ils reflètent tant tes sentiments ! D'un noir intense, ils virent au marron par les beaux jours d'été. Mais, depuis peu, ils ne brillent plus avec autant d'intensité. Une ombre les voile chaque fois que tu repenses au passé. Peut-être est-il temps de tourner la page et de passer à autre chose ?

Les longues allées pavées faisaient résonner mes talons. Quelle idée: des talons par un temps gris et humide ! J'avais plusieurs fois glissé sur le sol trempé et, chaque fois, j’accélérai un peu plus le pas. J'entrai dans une petite impasses, le cœur lourd. Des énormes flaques se formaient sur le bas de la chaussée et, bien des fois, j'avais failli être aspergée d'eau à cause d"une voiture qui roulait un peu trop vite. Les voitures avaient allumées leurs phares. Heureusement, sinon, j'aurais pu être percutée sans même m'en rendre compte. Une fin bien fâcheuse, il faut l'avouer. J’étais trempée et peu présentable, à vrai dire :mes longs cheveux bleus avaient pris une teinte noire et crasseuse. Mon minable gilet bleu qui essayait tant bien que mal de ma protéger tranchait avec la grisaille de la ville. Tant pis, au point où j'en étais... Je longeai la barrière blanche de ma charmante demeure et ouvris le petit portique. Plus qu'une allée de graviers à franchir et je saurai. Saurai tout ce qu'il y avait à savoir. Le moment venu, j'improviserai si cela tournait mal. Je parcourrai du regard le vaste étendu d'herbe mouillée qu'avait été mon jardin, lorsque j'étais petite. Mais, maintenant, à 17 ans, ce n'était plus la peine de venir y jouer, j'aurai pu casser la balançoire ou tout autre structure. J'esquissais un sourire -sans doute le dernier-, en me rappelant de ma douce enfance. Mais il n'était plus l’heure de rêvasser. Une page importante de ma vie allait peut-être tournée. La porte se trouvait devant moi. Je connaissais mon texte par cœur, chaque mot, je me l'étais dis et répété. Je caressai du bout des doigts la poignée avant de l'abaisser doucement. L'air s'engouffra bien vite dans la maison et, aussi, je me dépêchai de refermer la porte. Ça sentait bon les crêpes. Maman avait peut-être profité de mon retard pour en faire une tournée. Puis je me rappelai ce pourquoi j'étais là. Et les larmes me vinrent aux yeux, malgré moi. J'entrai dans le salon où mon père lisait. Une incroyable collection de livres en tout genre menaçait de de faire s'écrouler l'étagère. Les photos de vacances et les cartes postales avaient pris possession du mur droit, là où tous les papiers s’empilaient sur le buffet. Une pointe de nostalgie me transperça le cœur. Sans même m'annoncer, je parlais d'une voix que je voulais ferme :
"-Papa, Maman, j'ai une nouvelle à vous annoncer."
La tête de ma mère passa par l’entrebâillement de la cuisine. En voyant les larmes dans mes yeux, elle s'approcha et, après m'avoir caressé la joue, s'assit aux côtés de mon père.
"-Je... Je sais depuis quelques mois que je suis..."
Je ne pouvais m'y résoudre. La pluie avait cessé. Prenant une grand inspiration, je lâchai :
"-... Papa, Maman, je suis bissexuelle."


Je retins mon souffle, attendant le verdict. Au départ, rien ne se passa. Le vent soufflai, à l'extérieur. Une tempête approchait. Les poings serrés, je commençai à transpirer devant leur absence de réaction. Puis, au bout de ce qui me parut comme une éternité, mon père me souffla :
"Pars..."
Je ne compris pas, cherchant du réconfort dans le regard de ma mère. Je n'y vis que de la déception. Je tremblai, à présent. Pas ça. Ils ne pouvaient pas.
"-Pars ! Dégage ! Et ne reviens jamais, tu m'entends ? JAMAIS ! Tu as bafoué l'honneur de notre famille ! Tu nous as trahis ! Alors dégage ! Je ne veux plus te voir ! Tu n'es plus... ma fille."
Je ne pouvais plus m'arrêter de pleurer. Comment avait-il pu me dire ça ? Je pleurais à n'en plus pouvoir. Pleurais tout ce que je pouvais. C'était un cauchemar, j'allais me réveiller...
Je ne me réveillai pas. Et c'est alors que je pris conscience de la situation. Mes parents ne m'aimaient plus, ils ne me faisaient plus confiance. Une colère sourde monta en moi. Une colère pleine de rage et d'incompréhension. Une colère que je n'arrivais pas à contrôler. Alors, sans crier garde, j'empoignais mon couteau suisse, celui qu'ils m'avaient offert pour mon 16ème anniversaire. Et je me mis à donner des coups, à trancher tout ce qui se trouvait sur mon passage. Je n'avais plus qu'une envie : Tuer. Le sang giclait autour de moi mais je ne discernais plus mes parents, tant ma fureur était grande. Je courrais, sautais, tuais et décapitais, me jouant des veines tentatives de défense de mes parents. Ils ne m'aimaient pas. Au moins, c'était réciproque. J'étais aveuglée par le sang, l'odeur de la mort. Je me déchaînai, comme si un monstre s'était emparé de moi. Je ne pouvais plus m'arrêter, cela ne me procurait que du bien. Un plaisir sadique comme je n'en avait jamais ressenti. La tempête avait éclatée, dehors. Un coup de tonnerre fit sauter les plombs et la maison se retrouva plongée dans l'obscurité. Je continuai à me débattre un moment avant de me rendre compte que plus rien ne bougeait autour de moi. Je me figeai. Un silence de mort s'abattit alors. Reprenant mon souffle, j'essayai de distinguer quelque chose sans comprendre quoi. Un signe de vie ? Sans doute. Je sentais le sang couler sur mes bras, mon corps, mes jambes. Je me sentais sale. Je me mis à me tâter, comme pour me prouver que j'étais réellement vivante. Je transpirai, mes cheveux s'étaient collé à mon front. A tâtons, je cherchais une source de lumière. Je tombai bien vite sur une lampe de poche que je m'empressai d'allumer. Le faisceaux lumineux parcouru la pièce tremblant à cause de ma main peu sûre. J'étais incroyablement fatiguée. Soudain, je poussai un cri. Devant moi s'étendait les corps inertes de mes parents. Non, pas ça, je ne pouvais pas les avoir tuer. Je me jetai à terre, cherchant leur pouls, leur respiration. Je ne sentis que l'odeur âcre du sang et de la mort. L'air me parut soudain irrespirable, je devais sortir. Les larmes faisant rougir mes yeux, je courais jusqu'à la porte. La tempête ne s'était pas calmée et la pluie battante fouettai mon visage. Les yeux fermés, j'inspirai l'air frais de la nuit. Je ne pouvais plus supporter, c'était trop dure. Je rouvrais les yeux. Je savais ce qu'il me restait à faire.


Le vent se déchaînai contre moi, comme s'il me forçait à reculer. Je courais plus vite chaque fois. Je ne voulais pas montrer mes faiblesses. Cela faisait au moins une heure que je fuyais. Ou bien peut-être quelques secondes ? Je ne savais plus, j'avais envie d'avoir mal. Ma notion du temps se brouillait, tout comme ma vue. Des points noirs clignotaient et dansaient sur le rythme de la valse de la Mort. Tenir... un peu... plus. Me garder en vie, juste quelques minutes, le temps pour moi d'accomplir ce que j'avais à faire. Je m'affaiblissais ma ma course ne s'en arrêtait pas pour autant. J'avais l'impression que seule mon âme avançait et que mon corps s’était écroulé bien avant. Je glissai sur les feuilles morts, dérapait à chaque changement de terrain. Le paysage défilait sur les côtés à une telle vitesse que j'en avais le tournis. À une telle vitesse que même mon cœur s'arrêta de battre. Pour une fois, ce n'était pas une métaphore. Je sentis mes jambes se dérober sous moi et je tombai sur le goudron, couverte de boue et trempée jusqu'aux os. C'était bizarre. Le temps d'une seconde, j'étais morte et j'avais l'impression de me réveiller d'un coma profond qui avait duré des millions d'années. Peut-être est-ce cela, ressusciter ? Mais le temps n'était pas à la réflexion. Je me relevai avec difficulté et reprenais ma course, ma vitesse diminuée de moitié. Un voile assombrit ma vue dès le premier virage et il me fallut toutes les peines du monde pour garder mon équilibre. Les ombres dansaient, je n'avais plus aucune notion de perspective. Ma destination était enfin en vue. Comme portée par un dernière force inconnue, j’accélérais, le souffle court. La Tamise. Heureusement pour moi, il n'y avait personne en vue. Je sortie un papier de ma poche et griffonnai quelques mots avant de le coincé au sol grâce à un petit galet. Sur le Tower Bridge, une première. Je grimpai sur la barrière. Je reprenais mon souffle, contemplant la vaste étendu d'eau qui se dressait sous moi. Je fermais les yeux. Gonflant ma poitrine, je me jetai du haut du célèbre pont.
Le vent fit s'envoler le mot. Dessus, on pouvait lire :

"-A tout ceux que j'aime et que j'ai un jour aimé."


Élie fut secouru juste à temps. Ces parents ne purent la chasser face aux autorités et essayèrent de l'emmener voir un psychologue. C'est d'ailleurs lors de l'une de ses visites qu'elle s'enfuit. Elle erra longtemps dans la rue avant de trouver un article sur Gay Town. Depuis, elle y habite afin de se reconstruire.